un tueur au profil et aux motivations insaisissables
Avant la reprise des audiences au procès des attentats de Nice, mercredi 2 novembre, retour sur les débats de la semaine dernière, entièrement consacrés à l’auteur de l’attentat, Mohamed Lahouaiej Bouhlel, abattu par les forces de l’ordre après avoir tué 86 personnes au volant de son 19 tonnes. Malgré les nombreux témoignages entendus durant cinq jours, la personnalité et les motivations du tueur restent floues.
Était-il fou ? Déséquilibré ? Radicalisé ? C’est un exercice délicat auquel s’est livré la cour : décortiquer, a posteriori, la personnalité de Mohamed Lahouaiej Bouhlel, pour tenter de comprendre son passage à l’acte meurtrier. Pour ce faire, des enquêteurs, ses parents, ses proches et plusieurs de ses liaisons se sont succédé à la barre. Ils ont dressé le portrait d’un homme aux multiples facettes, tantôt décrit comme « dépressif », « introverti », « sadique violent » ou « paranoïaque ».
Ses proches racontent d’abord une enfance et une adolescence âpre, dans une famille modeste de Msaken en Tunisie. Mohamed travaille dur auprès des animaux, développe des complexes. « Il se sentait méprisé par les autres enfants, car il n’était pas bien habillé, sentait mauvais », raconte son cousin.
Le jeune homme en tire un dégoût de lui-même – « il se détestait », insiste sa tante – et du ressentiment envers sa famille, surtout son père. « Mohamed et lui ne s’aimaient pas » pointe sa sœur, d’autant que les « gifles et coups de pieds » sont monnaie courante, comme le reconnaît le patriarche qui assène à la barre : « tout le monde frappe ses enfants ».
Un parcours de vie marqué par la violence
Les violences, d’abord reçues, mais bientôt commises, jalonnent la vie de Mohamed Lahouaiej Bouhlel. Violent avec ses camarades, avec sa fratrie, Mohamed ne supporte pas la frustration. À la moindre contrariété, « il tape et il casse », souligne son père. Une moto refusée et il enferme sa famille avec chaîne et cadenas. Son père s’oppose à ce qu’il devienne coach sportif, et le voilà, à 19 ans, qui défonce portes et fenêtres au couteau. Cela lui vaudra un rendez-vous chez le psychiatre.
Mais Mohamed arrête vite les anxiolytiques et antidépresseurs prescrits et refuse d’y retourner : le diagnostic psychiatrique ne sera donc jamais posé. Pour son père, Mohamed n’est pas « fou » mais « bizarre », un adjectif repris par d’autres pour le décrire. « Il n’était bon que pour la muscu », tacle en résumé son géniteur, qui insiste aussi sur un point qui fait consensus parmi ses proches : « Mohamed ne s’est jamais intéressé à la religion ».
Un homme aux deux visages
En 2007, Mohamed Lahouaiej Bouhlel part en France avec sa femme. Ceux qui l’ont connu à Nice dressent le portrait d’un homme aux deux visages. Côté pile, c’est un homme « complexé », obnubilé par son apparence et par le sexe. Il court « salles de muscu » et clubs de salsa. « Un dragueur lourd » selon deux de ses maîtresses auditionnées, mais plutôt « calme », « introverti », « peu sûr de lui ». À tel point, souligne l’une d’elle, que lorsqu’elle découvre son crime, elle peine à y croire tellement il est « inconcevable que cet homme gentil et réservé (soit) devenu le criminel de la promenade des Anglais ».
►À écouter aussi : Grand Reportage – Attentat de Nice : paroles de victimes
Roger non plus « n’a rien vu venir ». Cet octogénaire, qui se décrit comme un « mentor » et « une figure paternelle » pour Mohamed Lahouaiej Bouhlel, confie aussi avoir été son amant durant quatre ans. Son « Momo » dit-il, était « charmant et affable », même s’il admet avoir décelé dans certains regards « fixes et vides », une « absence d’empathie ». Autre « bizarrerie » – encore ce mot – notée par Roger, le futur tueur se faisait souvent passer pour juif. Il disait « détester les Arabes ». « Je pense qu’il avait honte de lui », avance le vieil homme.
Côté face, c’est envers sa femme que Lahouaiej Bouhlel va manifester toute l’ampleur de son côté sombre. Cette femme, si traumatisée qu’elle n’a pu témoigner, décrit à la police en 2014 des violences quotidiennes, dont les manifestations dénotent clairement des problèmes psychologiques. Au-delà des coups et d’un appétit sexuel insatiable, son mari défèque dans leur chambre, lui urine dessus, poignarde le doudou d’une de ses filles qu’il appelle « mes merdes » et menace de mort. « Il aimait le mal […]. C’était un monstre, le diable s’est inspiré de lui », résume cette femme. Face à ce profil trouble, les interrogations sur ses motivations demeurent.
L’hypothèse d’un suicide transformé en tuerie de masse
Comme le pointe un enquêteur, les recherches de Mohamed Lahouaiej Bouhlel sur internet illustrent sa fascination pour la violence de tout ordre (accidents meurtriers, scènes de tortures, images zoophiles…) bien avant un quelconque intérêt pour les vidéos du groupe État Islamique.
Ce n’est d’ailleurs que quelques semaines avant l’attentat que le futur tueur commence à consulter de la propagande jihadiste. En outre, il n’enregistrera aucun message d’allégeance à l’organisation terroriste, dont la revendication a posteriori est d’ailleurs qualifiée d’« opportuniste » par le parquet. « La volonté de faire du mal précède la volonté de faire du mal au nom de la religion » analyse le policier antiterroriste, qui insiste sur un autre aspect « unique » de ce dossier : le terroriste a laissé un nombre considérable d’indices qui incriminent aujourd’hui les accusés. À tel point que « l’idée qu’on peut avoir, c’est qu’il a délibérément tenté de compromettre son entourage », estime l’enquêteur. Mais encore une fois, pourquoi ?
« Il a fait ça pour qu’on parle de lui », avance Roger. « S’il était malade mental, il pouvait se suicider, mais pourquoi tuer tous ces gens », se tourmente encore sa sœur à la barre. Une de ses maîtresses, qui l’a trouvé « dépressif » avant l’attentat, avance une théorie : Mohamed Lahouaiej Bouhlel aurait perpétré ce massacre dans la droite ligne du pilote de la Germanwings qui, en 2015, s’était suicidé en emportant tous les passagers de l’avion avec lui.
Une hypothèse qui intéresse grandement les avocats d’un des accusés, Chokri Chafroud, l’un des accusés mis en cause par des photos et des messages laissés en évidence par le tueur : « Cet élément nous questionne de façon très importante, d’autant qu’il existe une similitude matérielle dans les faits avec une personne chargée d’un transport collectif qui commet des faits criminels », insiste ainsi Florian François-Jacquemin, esquissant une ligne de défense de son client.
►À écouter aussi : Reportage France – « On est des grands oubliés », le procès de l’attentat de Nice vu par les parties civiles