Pourquoi des dirigeants européens contestent l’action de la BCE
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La Banque centrale européenne devrait annoncer aujourd’hui à Francfort un nouveau relèvement des taux d’intérêts. Cette politique présentée comme indispensable pour éradiquer l’inflation fait grincer des dents les gouvernants européens, dont le président Macron. Pourquoi une telle divergence de vue ?
Depuis 2008 les banquiers centraux sont considérés comme des magiciens, des super stars. Adulés par les marchés, bénis par les gouvernements. Grâce à leur politique très accommodante, à des taux d’intérêts à zéro voire en dessous comme en Europe pour sortir de la terrible crise financière de 2008, les investisseurs ont vécu une décennie euphorique à la bourse. Pendant ce temps, les États se sont endettés massivement pour soutenir la relance, sans se soucier du prix de l’argent. Mais le retour de l’inflation redistribue les cartes. Les banquiers centraux se concentrent désormais sur leur mandat premier : lutter contre l’inflation en remontant les taux, sans égard pour les conséquences. Les banquiers centraux retrouvent leur costume de père fouettard. Jérôme Powell le président de la Réserve fédérale sait qu’une remontée rapide peut déclencher la récession et il l’assume sans complexe. Joe Biden lui feint de croire que ce scénario n’aura pas lieu.
Mais dans la zone euro les chefs de gouvernement remettent ouvertement en question la politique de la BCE
La première critique est venue d’un tweet de la Première ministre de Finlande, Sanna Marin. La semaine dernière, Emmanuel Macron a enfoncé le clou dans un entretien au journal Les Échos : « Je suis inquiet de voir certains acteurs de la politique monétaire européenne nous expliquer qu’il faudrait briser la demande européenne pour mieux contenir l’inflation ». Puis Antonio Costa, le Premier ministre portugais, et l’Italienne Georgia Melloni donnent de la voix. Estimant que la hausse des taux pourrait remettre en cause la capacité d’emprunt des ménages et des entreprises, la populiste italienne ne ferait que reprendre tout haut la pensée de son prédécesseur Mario Draghi. L’ancien patron très respecté de la BCE fulmine contre cette remontée brutale des taux, malheureuse pour les États européens qui doivent augmenter leur plan de relance pour financer le bouclier énergétique.
Leur critique est-elle justifiée ?
Aux États-Unis, on est passé de 0 à 3% pour le taux directeur de la FED. En Europe, on sera à 1,5% si la BCE augmente de trois quarts de points. Vu de Francfort, on est encore loin de la remontée trop rapide des taux dénoncée ces derniers jours. Mais il y a une grande différence entre les deux régions : l’économie américaine était en surchauffe, remonter les taux était donc justifié. En revanche, la reprise post-Covid était encore timide en Europe, c’est pourquoi une action trop hâtive de la BCE au service de la lutte contre l’inflation pourrait bien casser le moteur, et même provoquer une crise financière avec des ménages ou des entreprises du jour au lendemain dans l’incapacité de rembourser les emprunts. Les déboires de Lizz Truss ont donné un aperçu des risques quand les gouvernements dépensent trop alors que les taux grimpent.
Christine Lagarde, la présidente de la BCE, sera t-elle sensible aux arguments de gouvernants critiques ?
Sa mission, inscrite dans les textes, est de veiller à ce que l’inflation se limite à 2%. On est aujourd’hui autour de 10%. Au nom de l’indépendance de cette institution, et pour rester crédible, elle ne déviera pas de la ligne choisie, même si cette trajectoire est en contradiction totale avec la politique budgétaire des États. Pour sortir de cette contradiction, le ministre espagnol des Finances propose des emprunts communs sur le modèle de la relance post-Covid. La réponse ne dépend pas de la BCE, mais des 27. Or les pays dits frugaux campent sur leurs positions. Le plus puissant d’entre eux, l’Allemagne n’est pas prête. À Berlin la peur de l’inflation est toujours plus forte que celle d’une débâcle financière.