«Mon pays imaginaire» de Patricio Guzman, quand le Chili s’éveilla


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Après tout un cycle consacré à l’histoire du Chili et sa mémoire blessée par la violence de la colonisation, de l’occupation indue des terres indiennes et de la dictature militaire, le documentariste chilien est revenu au Chili pour suivre la révolte sociale de 2019 et ses effets politiques avec l’élection à la présidence de Gabriel Boric. Un film d’espoir, avec les femmes en première ligne.

Le film sort ce mercredi 26 octobre alors que les Chiliens ont dit « non » début septembre au projet de nouvelle Constitution évoqué dans le documentaire. Le temps du cinéma n’est pas celui de l’actualité. Il n’empêche, une page s’est tournée et c’est ce que raconte le film qui s’inscrit dans une boucle temporelle, de l’élection de Salvador Allende en septembre 1970, rappelée par des images d’archives, à celle de Gabriel Boric en décembre 2021. Patricio Guzman n’interroge plus la mémoire mais raconte le temps présent, celui de la révolte de 2019 jusqu’à ces derniers mois. Des images impressionnantes qui ont fait le tour de l’actualité par leur violence et par la mobilisation populaire, alors que le Chili avait disparu des radars médiatiques. Plus de vingt morts, des centaines de blessés notamment par armes à feu, des blessures oculaires par dizaines, dénoncées par ces manifestants qui se cachent un œil dans les rassemblements.

Des policiers anti-émeutes pendant les manifestations à Santiago du Chili, le 24 octobre 2019.
Des policiers anti-émeutes pendant les manifestations à Santiago du Chili, le 24 octobre 2019. REUTERS/Ivan Alvarado

Pour raconter et expliquer cette histoire, l’explosion sociale qui a suivi la hausse brutale du ticket de métro, Patricio Guzman, que l’on peut considérer comme la conscience cinématographique du Chili, en appelle aux femmes. Ce sont elles, souvent les oubliées de la « grande » histoire, qui ont été en première ligne parce que ce sont elles qui ont le plus souffert de la libéralisation forcée de l’économie chilienne, rappelle une journaliste. Quelque 70% des familles pauvres sont composés de familles monoparentales avec des femmes seules et 73% des naissances se font hors mariage.

Les femmes de la première ligne 

Elles prennent la parole, face caméra, un dispositif souvent utilisé par Patricio Guzman. Elles sont photographe, sociologue, déléguée de quartier, militante de base, étudiante, joueuse d’échec, secouriste… Des témoignages forts comme celui de cette dernière qui a œuvré pendant les manifestations de 2019 –impressionnantes images aériennes des artères de Santiago et la place Baquedano – et raconte sa peur et la solidarité, ou encore celui de cette jeune maman d’un petit garçon, en « primera linea » pendant les manifestations et qui s’habille face caméra pour montrer comment elle se protège des coups de matraque et des gaz lacrymogènes. Sur son casque et son masque à gaz, une cagoule noire brodée d’une grosse fleur rouge, symbole de paix et d’amour, explique-t-elle, parce que c’est l’amour qui lui fait risquer sa vie : pour son petit garçon, pour les générations futures. L’amour et la colère : « Tengo la rabia de mi viejita pero no su miedo », peut-on lire sur une pancarte brandie par une jeune manifestante, les femmes sont en colère mais elles n’ont plus peur. Colère à l’égard de la répression, des injustices sociales et des violences faites aux femmes. Face caméra encore, les filles du collectif Las tesis, de Valparaiso, dont les performances de rue (el violador eres tù) ont fait le tour de la planète et ont été reprises par les femmes du monde entier.


« Marichiweu »

Raconter avec des actrices de premier plan comme Elisa Loncon, la première présidente de l’Assemblée constituante et première Mapuche à arriver à ce niveau de responsabilité politique, qu’accompagne le cliquettement de ses parures en argent, ou une des jeunes déléguées de la Constituante, mais aussi expliquer pourquoi le Chili a explosé. Rappeler le passé, le rôle de l’armée (pourquoi le président Piñera a appelé l’armée pour maintenir l’ordre), expliquer pourquoi une nouvelle Constitution était nécessaire, pourquoi les femmes sont aussi présentes, comment et par qui Gabriel Boric a été élu… Les analyses des invitées et le commentaire très écrit en voix off de Patricio Guzman apportent ces éclairages. Il est des flammes qui brûlent et d’autres qui nourrissent, sourit l’une des intervenantes à propos des manifestations.

Chris Marker, lorsqu’on avait filmé La bataille du Chili m’avait dit que ce qui était important, c’était d’être présent, non pas au moment de l’explosion mais au moment de l’étincelle qui met le feu. Je n’y étais pas, regrette Patricio Guzman, mais il a attrapé au vol le fil et renoué avec le Chili de son enfance qu’il évoquait dans son précédent film, La Cordillère des songes. Patricio Guzman a fait sien le mantra d’Elisa Loncon, Marichiweu : « nous vaincrons toujours ». Il retrouve un pays qui n’a plus peur, a retrouvé la mémoire, renoue avec un passé occulté – dans les dernières images, Gabriel Boric, tout juste élu, s’inscrit dans les pas de Salvador Allende et rend hommage aux femmes de son pays – et se projette dans l’avenir. « Un pays qui construit une nouvelle maison avec des fenêtres grand ouvertes ».




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