«Les interventions étrangères n’ont fait qu’affaiblir l’État haïtien»
Publié le :
En Haïti, les manifestations antigouvernementales se poursuivent dans tout le pays. Des milliers de personnes réclament le départ du Premier ministre Ariel Henry face à l’augmentation du coût de la vie, les pénuries d’essence et l’insécurité. Une mobilisation ravivée en fin de semaine dernière lorsque le chef du gouvernement a officiellement demandé une intervention militaire étrangère pour tenter de desserrer l’étau des bandes criminelles sur Haïti. « Anticonstitutionnel », « illégal » : les critiques ne manquent pas. Sont-elles fondées ? RFI a posé la question à Frédéric Thomas, docteur en sciences politiques au Centre Tricontinental (CETRI), basé en Belgique.
RFI : Au regard du droit, cette demande du gouvernement haïtien est-elle illégale, inconstitutionnelle, comme l’avancent une majorité d’Haïtiens ?
Frédéric Thomas : Dans la Constitution d’Haïti est bien inscrit le principe d’indépendance et de souveraineté. On est donc face à un fait inédit, où un gouvernement qui n’est pas dans un état de guerre, qui n’est pas envahi, appelle à une intervention armée internationale pour régler des problèmes internes. Cela apparaît aux yeux de la population comme une nouvelle humiliation et comme le marqueur de l’incapacité du gouvernement à lutter contre les bandes armées, contre l’insécurité, son incapacité à régler les problèmes auxquels le pays est confronté. C’est vraiment un marqueur de la faillite de ce gouvernement et de la diplomatie poursuivie jusqu’ici. Cet appel semble plutôt une manière, pour ce gouvernement, de se jeter dans une fuite en avant pour assurer sa survie politique.
Quelles traces ont laissé les interventions étrangères qui ont jalonné l’histoire moderne d’Haïti ?
Elles ont laissé de très mauvais souvenirs. Les effets les plus immédiats, les plus récents, sont la propagation de l’épidémie de choléra en 2010 [introduite par des Casques bleus népalais, ndlr]. La maladie avait disparu au cours des trois dernières années, mais elle réapparaît aujourd’hui. Les précédentes interventions ont aussi été marquées par de multiples agressions sexuelles et des viols de la part des Casques bleus, et par une forme d’impunité puisque ces derniers n’ont pas pu être jugés en Haïti. Et enfin, le statut de la mission est problématique puisqu’il s’agit d’une mission de maintien de la paix et, encore une fois, Haïti n’est pas en situation de guerre.
Haïti n’est pas en situation de guerre aujourd’hui, mais en situation de guérilla urbaine. Au regard de l’histoire, ces interventions étrangères en Haïti ont-elles solutionné les différentes crises ou les ont-elles aggravées ?
Ces missions étaient censées stabiliser et renforcer l’État haïtien, mais n’ont fait que l’affaiblir. Elles n’ont pu se confronter à aucun des problèmes structurels auxquels fait face le pays et, à long terme, elles ont un peu plus affaibli les institutions publiques et rendu le pays plus dépendant. Cela hypothèque son avenir et condamne Haïti à ce cycle de crises, de catastrophes et d’ingérences.
Brian A. Nichols, le sous-secrétaire du département d’État américain, est à Port-au-Prince mercredi et jeudi. L’ambassadeur d’Haïti aux États-Unis a lui estimé que les voisins d’Haïti, comme les États-Unis et le Canada, devaient prendre l’initiative d’une nouvelle intervention étrangère. Est-ce qu’on peut imaginer que l’annonce du Premier ministre Ariel Henry a été précédée d’un accord avec ces pays pour négocier leur intervention ?
Sans tomber dans le complotisme, on ne peut que noter la convergence et la rapidité des réactions. Quelques jours avant qu’Ariel Henri ne lance cet appel à une force armée internationale, cette initiative avait déjà été suggérée par Luis Almagro, le secrétaire général de l’Organisation des États américains (OEA). Une fois cet appel fait par le gouvernement haïtien, le secrétaire général de l’ONU l’a tout de suite repris et appuyé. Quelques jours plus tard, Brian A. Nichols est en Haïti. Et de fait, tout le monde sait que cet appel à la communauté internationale vise d’abord et avant tout Washington. Donc, il semble bien que cet appel a été précédé, en tout cas discuté, avec ces destinataires.
► A lire aussi :