le rappeur Oxxxymiron et l’écrivain Dmitri Gloukhovski, désignés «agents de l’étranger»
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En Russie, la société est de plus en plus mise au pas de « l’opération spéciale », et singulièrement la partie du monde de la culture qui s’oppose publiquement depuis le début à la présence de soldats russes en Ukraine. Vendredi 7 octobre, quelques heures après l’attribution du Nobel de la paix à l’ONG dissoute Mémorial, entre autres, plusieurs noms célèbres ont ainsi été ajoutés à la liste des personnalités qualifiées « agents de l’étranger ». Celui de l’écrivain de science-fiction et auteur de best-sellers Dmitri Gloukhovski et la superstar du rap Oxxxymiron, de son vrai nom Miron Fiodorov, le chanteur de rap de sa génération le plus écouté de la Russie et au-delà.
De notre correspondante à Moscou,
Avec plus de deux millions d’abonnés sur Instagram, une demi-douzaine de disques à son actif. Oxxxymiron est en Russie une superstar, comparé en occident à Eminem, très engagé aussi et critique du pouvoir de longue date avec des textes dans lesquels il dénonce la corruption des élites.
Oxxxymiron, un rappeur contre la guerre
Oxxxymiron s’est, dés fin février, insurgé contre l’envoi de soldats russes en Ukraine. Dans une vidéo enflammée, il avait parlé « d’une catastrophe et d’un crime ». Plusieurs millions de vues en quelques heures, des concerts en Russie annulés. Et puis plus rien jusqu’à vendredi dernier.
« C’est très bizarre, mais tous les vendredis, on a pris cette habitude : on regarde la nouvelle liste d’agents de l’étranger, on apprend qu’un nouveau nom d’un artiste ou d’une figure publique y figure et on pense : “merde. Qui va être le prochain ?” », raconte, Nikolay Redkin, un des critiques de rap les plus respectés de Russie. Ce classement de la superstar, il l’explique sans vraiment l’expliquer. « Je pense qu’ils tapent sur des gens au hasard. Pas forcément de manière très réfléchie, parfois ils voient des noms importants, des gens qui parlent fort et qui ont de l’influence, et hop, ils le mettent sur leur liste. Mais je ne crois pas que ça dise quoique ce soit sur l’industrie de la musique en Russie maintenant, qui est un héros ou qui ne l’est pas. Ils tirent au hasard, il n’y a aucune logique ».
Mikhaïl Idov est lui media manager d’Oxxxymiron. Il vit à Los Angeles et dit avoir d’abord appris la nouvelle, « comme tout le monde » sur Twitter. « Ma première réaction a été de lui écrire tout de suite et de lui dire “félicitation”. Parce que je pense qu’être déclaré agent de l’étranger, maintenant, c’est comme recevoir une médaille. Tous les gens que je considère comme excellents en Russie ont tous été désignés comme tels. Franchement, je suis envieux de ne toujours pas l’être ».
Derrière le sarcasme, un seul conseil : fuir, pour ceux qui le peuvent. « Si vous êtes un artiste et que vous avez quelque chose à dire sur l’état actuel des choses et sur le conflit, être en dehors de la Russie est raisonnable et quelque chose que je conseillerais à tout le monde de faire. Être en Russie en ce moment n’est tout simplement pas sûr ».
Le poète et activiste russe Artem Kamardin sévèrement réprimé
Une affaire a beaucoup marqué à Moscou il y a deux semaines et témoigne du durcissement de la pression sur les voix critiques : l’arrestation violente d’Artem Kamardin. L’artiste de 31 ans avait déclamé sur une place de la capitale russe un poème critiquant la mobilisation militaire, poème de sa composition titré « Tue-moi milicien », dans lequel -entre autres- il décrivait en termes particulièrement fleuris et insultants les républiques séparatistes pro-russes du Donbass. Vingt-quatre heures plus tard, arrestation par un groupe d’élite de la police, perquisition, deux jours de détention puis excuses, le tout filmé et apparaissant sur une chaîne Telegram proche de la police. Artem Kamardin aurait aussi, disent son avocat et sa compagne, été frappé et violé. Il est désormais inculpé pour « incitation à la haine avec usage de la violence ou menace de l’utiliser » et encourt jusqu’à six ans de prison.
Une peur glaçante, plus insidieuse, s’insinue aussi chez ceux qui essaient de travailler malgré tout, dit Nikolay Redkin. « J’ai récemment lu sur l’une des chaînes Telegram en lesquelles j’ai confiance que les services de sécurité ont commencé à surveiller de près les textes des musiciens, quand les albums sont envoyés en streaming par exemple. Comme ça, ils peuvent déjà vous mettre en difficulté si le texte contient quelque chose de séditieux ». Beaucoup d’artistes par ailleurs perdent une part de leur public qui a fui le pays.