le patron de Stellantis «prêt pour la bagarre» face à la concurrence chinoise
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À l’occasion du Mondial de l’auto à Paris, le directeur général de Stellantis (6e groupe mondial issu de la fusion PSA Peugeot-Citroën et Fiat Chrysler Automobiles), Carlos Tavares, détaille sa stratégie pour le véhicule électrique, accusant l’Europe de dérouler le « tapis rouge » aux Chinois. Entretien.
RFI : Le groupe Stellantis est engagé dans une démarche d’accélération vers la mobilité électrique : conception, fabrication et recyclage des véhicules. Quels sont vos projets en cours ?
Carlos Tavarès : C’est assez simple. Nous voulons offrir à nos concitoyens, notamment européens et français, une mobilité propre, sûre et abordable. Nous avons des résultats excellents puisque la Peugeot 208 est la voiture électrique la plus vendue en France. Nous avons une trentaine de modèles en vente, renforcé notre développement technologique avec la création de Stellantis, dans le cadre réglementaire fixé par l’Union européenne. Ici à Paris, nous avons de nombreuses nouveautés, à commencer par la Jeep Avenger, premier véhicule de la marque à être 100% électrique.
C’est une démarche qui est encouragée par les pouvoirs publics. Le président français Emmanuel Macron annonce des incitations financières pour les foyers les plus modestes. C’est forcément un atout pour vous ?
Si ces incitations n’existaient pas, les foyers des classes moyennes et modestes ne pourraient pas acheter un véhicule électrique. La véritable problématique, c’est son coût, donc son prix. Si on ne facilite pas son accès aux classes moyennes, la stratégie d’électrification de l’Europe serait morte-née. À un moment donné, il faut que le dogmatisme rencontre la réalité. Et d’une certaine manière, soit amélioré par une couche de pragmatisme. C’est normal que l’on aide les foyers les plus modestes à accéder à l’automobile électrique parce qu’il s’agit là de protéger la liberté de mouvement. Et s’il n’y a pas de liberté de mouvement pour les classes moyennes, il n’y a pas de démocratie moderne.
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Comment voyez-vous l’arrivée de la Chine comme acteur majeur sur ce marché ?
Il n’y a pas de surprise. Nous avons expliqué à de nombreuses reprises que les décisions dogmatiques prises par l’Union européenne déroulaient le tapis rouge aux constructeurs chinois. C’était prévisible. Ici, au Mondial de l’auto à Paris, en dehors de Stellantis et de son concurrent français (Renault), il n’y a que des fabricants chinois. L’offensive chinoise est maintenant une réalité. Cela fait cinq ou six ans que nous alertons sur ce risque. Malheureusement, il se concrétise. Nous allons devoir y faire face. Nous sommes prêts pour la bagarre. Prêts pour la course. Ce sera rude. Il faut que les citoyens européens le sachent et je les encourage à soutenir les fabricants européens.
Vous parlez d’une bagarre. La Chine n’est pas un partenaire, un marché potentiel ?
Pour Stellantis, le moins que l’on puisse dire, c’est que les conditions de concurrence en Europe facilitent beaucoup plus la tâche aux constructeurs chinois que le contexte réglementaire chinois ne le fait pour les constructeurs occidentaux. Ce serait donc la moindre des choses qu’il y ait une réciprocité imposée par l’Union européenne dans les conditions de concurrence sur le marché européen par rapport au marché chinois. Nous constatons que ce n’est pas le cas, nous le déplorons, cela fait partie de la naïveté qui vient se rajouter au dogmatisme des décisions prises par l’Union européenne. Et c’est un grave problème pour les citoyens européens eux-mêmes.
Nous sommes dans une grave crise énergétique. Comment un constructeur automobile peut-il agir pour faire économiser de l’énergie à ses clients et faire économiser de l’énergie aussi à la société, dans ses usines ?
Nous avons mis en œuvre un plan qui va nous permettre de réduire de 20% notre consommation électrique. C’est une nécessité environnementale et économique. Nous avons également lancé un plan de production d’énergie qui, en 2025, nous permettra de produire 50% de nos besoins. C’est une contribution très significative pour réduire le fardeau qui pèse sur les épaules de nos sociétés.
Stellantis est un groupe mondial. Quelles sont ses ambitions en Afrique ?
La région Afrique et Moyen-Orient est probablement la région du monde qui a le potentiel de croissance le plus élevé par la jeunesse de la population, alors que le monde occidental est vieillissant. Du fait de la natalité, les besoins de mobilité y sont énormes. Nous allons apporter notre contribution. Nous menons de multiples initiatives pour apporter le meilleur de la technologie sur le continent africain. Nous le ferons dans des conditions économiques qui permettront à la classe moyenne d’accéder à l’usage de l’automobile, un instrument de liberté absolument prodigieux.
Quels pays sont concernés en priorité ?
Nous avons le Maroc, l’Égypte, la Tunisie, et nous avons depuis peu l’Algérie [accord-cadre avec Fiat, NDLR]. Et nous avons bien l’intention d’être présents dans un proche avenir dans d’autres pays du continent. Notre objectif stratégique est très simple : nous voulons que 70% des véhicules que nous vendons en Afrique y soient fabriqués. Il y a aussi les véhicules d’occasion qui permettent de répondre au pouvoir économique des familles. C’était aujourd’hui un business qui est très rentable du fait de la faiblesse de la production de voitures neuves, conséquence de la crise des semi-conducteurs. Nous avons une unité dédiée aux véhicules d’occasion, y compris sur la région Afrique. Nous allons continuer à investir dans ce secteur, également pour l’économie circulaire : l’extension de la durée de vie des véhicules, le recyclage, la réutilisation des composants, ce que nous appelons les échanges standards sur les transmissions, sur les moteurs, sur les ponts. Nous avons des objectifs économiques très ambitieux.
En tant que dirigeant d’une grande entreprise mondiale, comment analysez-vous le marché du travail ? On a beaucoup parlé de la grande démission. Dans le contexte de crise, les salariés se posent beaucoup de questions sur le niveau des rémunérations.
Je le vois avec une certaine préoccupation. Nous avons en Europe, et notamment en France, une qualité de vie exceptionnelle. Je suis un privilégié qui a la possibilité de comparer beaucoup de situations très différentes dans le monde. Seuls les Européens ignorent la chance qu’ils ont de vivre dans une région aussi belle. Il faut leur dire : si vous voulez protéger votre mode de vie, vous allez devoir travailler plus. Si vous voulez travailler moins, vous allez dégrader votre qualité de vie. Si vous ne créez pas de richesse, vous ne pouvez pas la redistribuer. Il est très important de respecter les Européens en leur disant la vérité et en évitant la démagogie électorale. Il faut travailler avec moins de bureaucratie, moins de technocratie, de manière plus fluide, en utilisant les outils de communication modernes. Avoir une productivité au travail qui soit meilleure pour produire plus, sans travailler plus d’heures. C’est une forme d’intelligence que l’Union européenne a perdue.
Et les salaires ?
Il est tout à fait évident qu’il faut continuer à améliorer les rémunérations et c’est ce que nous avons fait chez Stellantis. Ce que nous avons décidé avec nos partenaires sociaux a dépassé le niveau de l’inflation, notamment en France (7%). L’année dernière, nous avons distribué 1,9 milliard d’euros en primes de performance à tout notre personnel sur une période de 10 ans. Nous distribuons autant à nos salariés qu’à nos actionnaires, nous sommes dans une approche assez équilibrée.