L’anomalie turque: une croissance record au détriment de la lutte contre l’inflation



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En Turquie la Banque centrale continue à agir à contre-courant de ses pairs : elle doit procéder ce jeudi à une nouvelle baisse de son taux directeur. Cette politique guidée par le président Erdogan produit des effets contrastés : l’inflation grimpe dangereusement mais la croissance demeure robuste.

Le gouverneur de la Banque centrale, le troisième homme nommé en deux ans pour appliquer à la lettre la politique dictée par Recep Erdogan, devrait abaisser son taux directeur d’un point et demi, à 9,5%. Sur un an ce taux a été divisé par deux. Une politique totalement anticonformiste pour lutter contre l’inflation. Selon la théorie économique, -et la pratique !, c’est en relevant les taux, en refroidissant donc le moteur, qu’on parvient à enrayer l’inflation. Mais le président Erdogan n’en n’a cure, il croit lui que c’est le contraire qui marche. Le miracle n’a pas eu lieu : l’inflation continue à s’envoler ; elle est passé en un an de 20 à 84% selon les chiffres officiels. Derrière cette pseudo-croyance du président Erdogan, il y a surtout un autre choix économique: celui de maintenir à tout prix une croissance robuste pour flatter son électorat composé en partie de petits patrons. A six mois du scrutin présidentiel où il espère remporter un troisième mandat, la banque centrale n’a qu’une seule mission: proposer un taux attractif pour doper la croissance.

Et pour le moment la croissance turque reste soutenue

Depuis janvier elle dépasse les 7%. Cette bonne performance macro-économique se reflète à la bourse. Elle a pris plus de 60% en un an, un record qui défie l’entendement comparé aux autres places financières émergentes.  Dernière source d’étonnement : l’Etat conserve la confiance des marchés, l’obligation émise au début du mois de novembre a suscité trois fois plus de demande que nécessaire. L’Etat a pu lever 1,5 milliard de dollars à 10% sur une durée de huit ans.

Ces résultats flamboyants contrastent avec les difficultés endurées par les ménages turcs

Les prix de l’alimentation, du logement, du transport ont quasiment doublé. Cette hausse des prix est en partie nourrie par le plongeon de la livre turque. Elle a perdu 30% face au dollar. Ce qui surenchérit la facture des importations vitales pour la vie quotidienne comme le pétrole ou les médicaments et creuse le déficit commercial. Le chômage, à 10%, affecte surtout l’est du pays. Sur la façade Ouest l’emploi se porte bien. Grâce au tourisme en provenance des pays du Golfe et de Russie, et grâce au secteur du bâtiment porté par cette embellie macro-économique.

Comment interpréter des indicateurs aussi disparates ?

Selon les économistes critiques, cette course en avant se fait sur le dos des citoyens turcs. Face à l’inflation galopante, ils s’endettent lourdement pour compenser la baisse de leur pouvoir d’achat. En revanche, l’endettement public reste modéré : il est inférieur à 40% du PIB. Cette politique pro-croissance fragilise les fondements de l’économie. Pour éviter la crise financière qui menace avec la chute des réserves de change, le président Erdogan a obtenu le soutien de ses alliés. La Chine, les Émirats Arabes Unis et surtout le Qatar, ont renfloué les réserves de change. Riyad pourrait à son tour déposer 5 milliards de dollars sur les comptes de la Banque centrale. (Six ans après l’assassinat à Istanbul du journaliste Jamal Kashoogi ce cadeau scellerait la réconciliation de la Turquie avec l’Arabie Saoudite). Sans ce soutien extérieur, et temporaire, les réserves de change sont en déficit. L’économie turque repose donc sur un équilibre précaire et très artificiel. Sa croissance atypique devrait rapidement se diluer en 2023. Pas sûr que le pari de Recep Erdogan tienne jusqu’aux prochaines élections.



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