La Malaisie se cherche une stabilité lors d’élections législatives marquées par l’ethnicité
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Les Malaisiens ont commencé à se rendre aux urnes ce matin afin d’élire un nouveau parlement. Nouveauté de ce scrutin : la Malaisie a gagné six millions de nouveaux votants, dû à l’abaissement du droit de vote à 18 ans et une inscription automatique sur les listes électorales. Avec ce corps électoral d’une taille inédite et une diversification des offres politiques, ces élections sont ainsi sujettes à beaucoup d’inconnues. Mais la question ethnique reste le grand facteur.
De notre correspondante à Kuala Lumpur, Gabrielle Maréchaux
Alors que la presse malaisienne nomme déjà ce scrutin « le plus incertain de l’histoire du pays », une chose reste elle certaine : les Malaisiens ne boudent pas les urnes. La participation est en hausse, ainsi que les espoirs de retour à la stabilité après deux ans d’incertitudes politiques, pour ces électeurs de la banlieue de Kuala Lumpur :
« Je suis venue en pensant à mes enfants, mes petits-enfants, j’attends pour eux du changement », explique Shaima. « J’ai 78 ans. La Malaisie est un pays multi-ethnique mais j’espère que ce scrutin permettra de trouver une harmonie et se fera sans tension », poursuit Jabar.
Shaima et Jabar sont allés voter tôt ce matin, afin d’éviter d’être piégé par les pluies importantes prédites pour cet après-midi, qui pourraient perturber ce scrutin.
Ils ont attendu plus d’une heure pour pouvoir entrer dans l’isoloir, où pour la première fois, les téléphones portables sont interdits. La mesure est censée lutter contre les risques de corruption, en rendant impossible pour les partis de verser de l’argent aux électeurs qui leur enverrait une photo d’eux-mêmes dans l’isoloir, avec un bulletin choisissant leur candidat.
La question ethnique au cœur des élections
Tous les yeux sont tournés vers l’ethnie malaise musulmane majoritaire dans le pays. Car voici des décennies que la Malaisie a mis en place des politiques très avancées de discriminations positives afin de favoriser les Malais, jugés désavantagés par rapport aux minorités indiennes et chinoises du pays. Représentant 63% de la population, les Malais restent, scrutin après scrutin, l’électorat clef. Une réalité démographique qui pousse de nombreux camps politiques à tout tenter pour les séduire.
La Malaisie a beau sortir de deux ans d’incertitudes politiques, économiques et sanitaire, pour ses politiciens, l’élection est avant tout une question d’ethnie. Mahathir Mohamad, vétéran de la politique malaisienne et de nouveau candidat, l’assume sans ambages lorsqu’il prend la parole :
Qu’on s’en désole ou non, les gens votent selon leur ethnie et un candidat d’origine chinoise dans un village malais ne gagnera jamais.
Et lorsqu’on l’interroge sur ce qui différencie son parti des autres partis nationalistes malais, sa réponse ne s’embarrasse pas non plus de grandes explications :
C’est vrai qu’il y a aujourd’hui beaucoup de partis politiques pro-malais aujourd’hui mais il y a les bons malais et les mauvais malais, choisissez les bons malais !
Choisir entre tous les partis malais, c’est un des enjeux de ce scrutin, avec désormais pas moins de quatre formations politiques se positionnant comme les défenseurs de cette ethnie. La diversité d’offre génère des discours de plus en plus identitaires pour tenter de les convaincre, note Oh Ei Sun, chercheur malaisien à l’Institut des Affaires Internationales de Singapour :
C’est un cercle vicieux. Ces différents partis auto-alimentent leur rhétorique, ce qui incite les autres à surenchérir.
Une diversité d’offre qui pourrait aussi compromettre les chances de trouver une majorité absolue et relancer la pratique des jeux d’alliances opportunes et fragiles, à laquelle la Malaisie a été abonnée ces dernières années.
En Malaisie, l’appartenance ethnique joue un rôle important lors des élections
« La Malaisie n’a jamais connu la stabilité politique »
Alors que le pays a vu se succéder trois Premiers ministres en 3 ans, le principal enjeu de ces élections « est l’aspect de la stabilité politique » et le « nettoyage de la classe politique malaisienne », selon Victor Germain, spécialiste de la Malaisie et ancien chargé de recherche à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (Irserm).
Le gros enjeu de ces élections, c’est l’aspect stabilité politique. En fait, il y en a deux. Il y a la stabilité politique, puisque la Malaisie n’a jamais connu cela : on n’en parle pas. Pourtant, c’est un gros acteur économique en Asie du Sud-Est, et c’est un marasme complet où personne ne comprend rien et les Malaisiens eux-mêmes sont complètement lassés. Donc, assez vite, on pourrait avoir un désintérêt et un retour de cette classe politique, issue de l’Umno [Organisation nationale unifiée malaise], qui est complètement corrompue. Et l’enjeu, c’est à la fois la stabilité politique et « le nettoyage », « le toilettage » de la classe politique malaisienne. Et à cela, il faut rajouter quelque chose d’autre, même si les grands candidats au poste de Premier ministre sont âgés, c’est l’implication de la jeunesse. La jeunesse n’est pas apathique en Malaisie. La jeunesse pense, la jeunesse est libre d’esprit. La Malaisie, ce n’est pas une dictature. C’est une démocrature à la rigueur, mais non pas à la russe. Mais, en tout cas, c’est vrai que les jeunes s’investissent assez peu en politique et que très souvent, notamment chez les Malais, il y a beaucoup de clientélisme : on se dit « il faut garder le consensus ethnique parce que cela permet à la majorité des jeunes d’avoir des postes
«La Malaisie n’a jamais connu la stabilité politique», explique selon Victor Germain, spécialiste de la Malaisie et ancien chargé de recherche à l’Irserm
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