«la boxe a perdu de son magnétisme, de sa magie, de sa crédibilité»
La boxe anglaise, surnommée le « noble art », fait-elle toujours rêver ? La discipline, auréolée de légendes comme Mohamed Ali, Mike Tyson, Joe Frazier ou encore Georges Carpentier, a beaucoup évolué ces dernières décennies, qu’il s’agisse de la boxe amateur ou professionnelle. Ces dernières années, elle a évolué au point d’être désacralisée, selon Nasser Negrouche, journaliste, ancien boxeur amateur international et spécialiste de ce sport. Pour RFI et l’émission Décryptage, il détaille les dangers qui la menacent.
RFI : Nasser Negrouche, peut-on toujours parler de noble art pour qualifier la boxe, selon vous ?
Nasser Negrouche : C’est vrai que la question se pose, le Noble art a perdu énormément de son magnétisme, de sa magie, de sa crédibilité surtout, et on vit une crise indéniable. Il y a une autre crise qui, effectivement, rompt avec toute une histoire qui a fasciné le public : le monde du cinéma, le monde de la littérature. C’était un sport qui avait une aura particulière qui aujourd’hui, n’est plus là.
Qu’est-ce qui explique cette crise et pourquoi, selon vous, la boxe fascine moins aujourd’hui ?
Si on parle de la situation, par exemple en France, parce que la situation n’est pas identique dans tous les pays, même s’il y a une crise générale, il y a plusieurs facteurs qui peuvent expliquer ce déclin de la boxe. Cette perte de crédibilité s’explique d’abord par des combats souvent déséquilibrés, dont on peut, avec une quasi-certitude, prédire l’issue tellement ils sont déséquilibrés. Donc ça, c’est le premier facteur. Le deuxième, qui est plus concret, c’est une régression évidente sur le plan de technique, sur le plan de l’enseignement, et je dirais que la boxe, c’est un peu comme un métier artisanal en voie de disparition, un métier rare. On n’a plus de grands maîtres capables de transmettre. On a aujourd’hui une multitude de gens qui s’autoproclament coach de boxe. Nous, on a connu des professeurs de boxe, des professeurs, qui avaient une réelle maîtrise, un réel savoir-faire, une science du ring, qui, qui nous a été transmise.
Aujourd’hui, c’est devenu un sport très commercial, c’est-à-dire qu’il y a vraiment une nouvelle manière de pratiquer la boxe sous forme de hobby, de loisir, de distraction. Mais on n’est plus du tout dans ces usines à champions qu’on avait jadis, y compris en France, et dont la vocation était de fabriquer des champions, de former des gens destinés à aller au plus haut niveau de ce sport.
A (ré)écouter ► l’émission DÉCRYPTAGE: L’argent a-t-il mis la boxe K.O?
Peut-on dire aujourd’hui que l’argent règne sur la boxe ? Est-ce que ça n’a pas toujours été le cas ? On peut citer Don King, à l’époque de Mohamed Ali. Là aussi, c’étaient des combats très lucratifs avec des promoteurs un peu tout-puissants. Ce phénomène est-il plus fort aujourd’hui ?
Pour bien comprendre, il faut bien distinguer deux univers : celui de la boxe professionnelle et celui de la boxe amateur. Dans la boxe professionnelle, il y a toujours eu de l’argent. Il y en avait d’ailleurs davantage dans le passé qu’aujourd’hui. Il y avait des combats records avec des bourses gigantesques. L’argent dans la boxe professionnelle a toujours existé avec ses excès, notamment aux États-Unis.
Il y a surtout une crise dans la boxe olympique, dans la boxe amateur, qui, elle, a été quelque peu corrompue par l’immixtion de l’argent, à travers notamment la Fédération internationale de boxe amateur (IBA). C’est surtout la corruption des valeurs de l’olympisme par l’argent qui pose problème aujourd’hui. D’où, d’ailleurs, la menace d’un retrait de la boxe des JO de Los Angeles en 2028. Il y a une menace sérieuse de retrait de la boxe olympique.
Quelles seraient les conséquences de la disparition de la discipline aux JO de 2028 ? Quelles seraient les répercussions pour la boxe amateur ?
Ce serait la fin et une rupture totale avec son histoire. La boxe figure aux Jeux olympiques depuis 1904. Elle a été l’une des disciplines les plus attractives des JO.
La fin du rêve olympique serait un effondrement même de l’attractivité, du sport, puisque les Jeux olympiques sont une sorte d’accomplissement pour le boxeur amateur, un idéal olympique pour la France.
Par exemple, on peut se souvenir du Français Brahim Asloum qui a été médaillé d’or aux JO 2000 et qui est devenu aussi un boxeur de haut niveau et de son compatriote Tony Yoka plus récemment. Ce sont des gens qui ont atteint le niveau mondial après avoir décroché une médaille d’or olympique. Mais c’est surtout symboliquement : ça signerait la fin d’une époque et surtout des valeurs qui ont porté la boxe, des valeurs olympiques.
Certains promoteurs organisent désormais des combats avec des personnes qui ne sont pas du tout boxeurs. Comme récemment, entre le youtubeur américain Jake Paul, qui a affronté le Brésilien Anderson Silva, légende des arts martiaux mixtes (MMA). Est-ce que ça ne peut pas relancer l’intérêt des gens en proposant d’autres profils ?
Un autre facteur, qui explique le déclin de la boxe anglaise, du noble art, c’est la concurrence des autres sports de combat, et notamment le MMA. On a aujourd’hui des soirées qui vont mixer les disciplines pour essayer d’élargir l’audience et d’attirer un plus grand nombre de spectateurs.
Le second point que vous évoquez et qui concourt à la perte de crédibilité de la boxe, c’est ce que j’appelle la boxe de foire, à savoir, on fait boxer n’importe qui, des youtubeurs, des artistes, des personnalités, des influenceurs, qui vont enfiler des gants simplement, dans un esprit de buzz. Il n’y a absolument pas de boxe là-dedans. Cela fait partie de cette théâtralisation de cette boxe qui vire au cirque et qui n’a plus rien à voir avec la boxe académique. Aujourd’hui, tout ça, ça n’existe plus. On est sur un registre tout à fait différent qui est celui du divertissement. On peut dire qu’on avait jadis une boxe qui était classique, qui était un peu comme un beau film de la cinémathèque française en noir et blanc, avec des acteurs, avec une âme, avec un mystère, un magnétisme. Aujourd’hui, on a une espèce de boxe berlusconienne dont le souci principal est de faire de l’audience, de divertir, d’attirer le chaland. Mais en rupture totale avec les principes fondateurs du Noble art et surtout avec les valeurs de la boxe.