Inflation contre chômage ou l’impossible dilemme
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Faut-il sacrifier l’emploi sur l’autel du pouvoir d’achat ? Le débat est lancé aux États-Unis où la Banque centrale a ouvertement choisi de favoriser une augmentation du chômage pour lutter contre l’inflation. Ce choix a clairement été énoncé par Jerome Powell, le patron de la puissante Réserve fédérale américaine (Fed) pour qui il faut « frapper fort et vite » et qu’importe la récession qui menace les États-Unis et plus largement le reste du monde.
À la décharge de Jerome Powell, l’inflation s’est installée durablement aux États-Unis et malgré une baisse des prix de l’essence en août, elle a atteint 8,7% sur un an, loin des 2% inscrits dans le cahier des charges de la Fed. Une situation intenable pour les ménages et les entreprises.
Dans une déclaration qui en dit long sur le dilemme auquel il fait face, le patron de la Fed a reconnu qu’il aurait « aimé qu’il existe une méthode indolore pour faire baisser l’inflation mais il n’y en a pas ». Jerome Powell faisait référence au fameux arbitrage de Phillips qui fait le lien entre l’évolution des salaires et le chômage, c’est ce que l’on appelle l’inflation salariale. Pour résumer très sommairement, soit on réduit le chômage et on accepte qu’une inflation s’installe, soit au contraire, on réduit l’inflation et on tolère une augmentation du nombre de demandeurs d’emplois.
Un choix politiquement difficile
Si politiquement le choix est cornélien, il se trouve que la Fed ne fait pas de politique. Elle a deux missions : la lutte contre l’inflation et la préservation du marché du travail. Or aujourd’hui, les États-Unis sont quasiment en plein emploi avec un taux de chômage historiquement bas à 3,7% ; du jamais vu en 50 ans. Jérôme Powell choisit donc de sacrifier l’emploi, « until the job is done » a-t-il déclaré, « jusqu’à ce que le travail soit terminé » et qu’importe si le chômage augmente et la récession s’abat sur les États-Unis.
Il faut dire que le chômage ne touche qu’une partie de la population alors que l’inflation, elle, est l’affaire de tous.
« Frapper fort et vite »
Jerome Powell va donc augmenter les taux directeurs. La Fed l’a déjà fait à cinq reprises depuis mars, il est vrai sans trop de succès. Mais il veut désormais « frapper fort et vite ». L’objectif est de renchérir le crédit, ce qui va pénaliser les entreprises qui seront moins enclines à investir et donc à embaucher. L’impact sera direct sur l’immobilier avec une hausse des taux d’emprunts et donc une baisse de la demande et par ricochet des constructions. Et du côté des ménages, la consommation va baisser. Mathématiquement, la croissance devrait en pâtir avec une récession parfaitement assumée par la Fed. C’est le prix à payer pour juguler l’inflation.
Mais c’est sans compter la pandémie et la grande démission qui a conduit des millions d’Américains à quitter leur emploi. Aujourd’hui, les entreprises ne veulent pas licencier. En cause, les difficultés de recrutement de l’après-Covid. Et quand elles réussissent à embaucher, elles gardent leurs salariés même si l’activité baisse. Et dans ces conditions, faire en sorte que le chômage augmente ne sera pas si simple.
Un choix qui ne fait pas l’unanimité aux États-Unis ?
Cette stratégie de la Fed ne fait pas l’unanimité outre-Atlantique. La secrétaire au Trésor Janet Yellen, qui avant lui a occupé le poste de Jerome Powell, estime qu’il est possible de faire baisser la forte inflation tout en maintenant un marché du travail solide. Mais à un mois des élections de mi-mandat, difficile pour elle de tenir un autre discours.
Un scénario difficilement transposable dans la zone euro
Ce scénario américain est-il envisageable dans la zone euro où l’inflation a atteint 10% en septembre, un record historique ? Pas vraiment. D’abord parce que l’économie dans la zone euro est loin d’être en surchauffe comme c’est le cas aux États-Unis. L’inflation y est, en grande partie, importée, en raison de la flambée des prix de l’énergie ou de la pénurie de certains produits. Des facteurs sur lesquels la Banque centrale européenne (BCE), n’a aucun contrôle.
Sans compter que la situation est différente selon les pays. En France par exemple, on enregistre deux à trois points d’inflation de moins que dans la zone euro alors que dans les pays baltes, elle dépasse les 20%.
Et puis surtout à chaque pays sa recette pour lutter contre l’inflation. À l’image du plan de soutien massif de 200 milliards d’euros débloqué par Berlin pour faire face à la crise énergétique. Un plan vertement critiqué par Bruxelles et par plusieurs pays qui craignent des distorsions de concurrence. Or, sans coordination au niveau communautaire, on a du mal à imaginer comment lutter efficacement contre cette inflation record.