en Iran, la lutte contre la censure de la culture plus forte que jamais



Le 15 novembre marque la journée mondiale des écrivains en prison. En Iran, alors que le régime islamique tente de réprimer les mouvements de contestation depuis deux mois, auteurs, poètes et comédiens sont aussi pris pour cible en raison de leur travail pour la liberté d’expression. Avec l’espoir de lutter contre la censure, des artistes iraniens ont pris une responsabilité : celle de devenir la voix de leurs confrères et consœurs réduits au silence.

« Je suis fatiguée d’avoir peur. Je n’ai jamais été politisée avant, mais maintenant, j’ai un devoir humain en tant qu’écrivaine. Il faut que je crie à leur place », assène Nasim Vahabi, autrice iranienne résidant en France depuis 1998. À l’occasion de cette journée des écrivains en prison, Nasim a élaboré un document non-exhaustif qui répertorie les noms des auteurs, poètes, journalistes et blogueurs assassinés ou actuellement incarcérés en Iran. Une photographie accompagne chaque nom, où l’on décèle un sourire, une histoire. Une façon de rendre hommage et de ne pas laisser tomber dans l’oubli ces hommes et ces femmes exerçant un métier « pourtant d’ordinaire peu risqué », souligne la doctorante en littérature. Pour elle, composer cette liste était nécessaire. « Avec les images, je voulais donner un aspect palpable à ces gens qui sont morts pour avoir écrit. »

Selon l’association des écrivains en Iran, l’on dénombre plus de 34 auteurs et poètes détenus dans le pays depuis le début du soulèvement national contre le régime, déclenché par l’annonce de la mort de Mahsa Amini le 16 septembre, après son arrestation pour un foulard jugé « mal porté ». En deux mois, plus de 14 000 personnes ont été interpellées, selon Human Rights Activists News Agency. Parmi elles, des romanciers, des réalisateurs, des libraires, des traducteurs, des éditeurs…

Dans sa liste, Nasim Vahabi recense par exemple Mahnaz Mohamadi, réalisatrice, documentariste et activiste pour les droits des femmes, incarcérée depuis le 19 septembre. Le poète et écrivain Baktash Abtin, membre de l’association des écrivains iraniens, décédé du Covid le 10 janvier 2022 en prison, sans jamais avoir eu accès à des soins. Ou encore l’auteur Reza Khandan Mahabadi, en prison depuis septembre 2020 à la prison d’Evin à Téhéran. À chaque fois, les charges retenues contre eux parlent de « propagande » ou « d’atteinte à la sécurité nationale ».

En plus de la littérature, les artistes de chaque discipline culturelle sont concernés par ces menaces. « Le travail que je fais est une arme et une responsabilité », affirme la réalisatrice iranienne Sepideh Farsi, installée en France depuis 1984. De la même façon, pour Nasim Vahabi, « écrire est une résistance » et une manière de soutenir le peuple iranien dans sa révolte.

Condition des écrivains iraniens : entre censure physique et censure morale

En Iran, le gouvernement islamique contrôle chaque pan de la société et du secteur culturel, jusqu’à la publication du moindre ouvrage et la sortie du moindre film. Le bureau de l’autorisation, au sein du ministère de la Culture et de l’Orientation islamique, décide si tel livre, film, scénario ou pièce de théâtre respecte leurs règles pour être publié. La parution d’un long-métrage nécessite même deux autorisations : une après la lecture du scénario, puis un visa de sortie une fois le tournage terminé.

Sauf que ces autorisations peuvent être aléatoires, et ne se limitent pas qu’au contenu de l’œuvre. « Ça dépend du scénario, mais aussi de qui vous êtes, du producteur, des acteurs, de vos origines, de votre père, etc. On m’a, par exemple, déjà reproché d’être d’origine afghane après le tournage d’un de mes films », se souvient Sepideh Farsi. Une de ses œuvres tournée en Iran en 2006, Le Regard, a été censurée à cause d’une scène de règlement de compte amoureux entre un couple, qui se déroulait dans un hôtel. Pas un contact physique entre les deux personnages, mais voir un couple non marié dans un hôtel est interdit par le régime islamique, donc également interdit au cinéma. « Toutes les règles édictées dans la vie doivent être respectées à l’écran », indique la réalisatrice.   

« Tous les artistes qui ont fait paraître des œuvres en Iran ont connu cette fameuse autorisation », poursuit Nasim Vahabi. Deux de ses ouvrages sont, d’ailleurs, toujours bloqués par le bureau en Iran, qui n’a pas accordé la permission de les faire paraître. « La situation est de plus en plus invivable pour tous ceux qui travaillent dans les métiers du livre », ajoute l’Iranienne. Et la censure tue, autant physiquement que mentalement. « Un écrivain qui vit ce genre d’intimidation a quelque chose dans sa vie qui est tué. Parce qu’en écrivant son roman, il y a mis une partie de ses pensées, de son temps, de son énergie, et ça, ça lui est confisqué. La censure est violente, réprime et emprisonne les auteurs. Mais sur le long terme, elle tue aussi l’ambition et la créativité d’un écrivain quand son ouvrage n’est pas publié. »

Nombre d’artistes en Iran, s’ils ne sont pas incarcérés, vivent ainsi dans la peur et dans l’autocensure. Ou alors, ils doivent trouver des façons de détourner les règlementations, au péril de leur vie. « Au théâtre, il peut y avoir des inspecteurs aux répétitions qui finalement refusent de voir les comédiens monter sur scène. Certains metteurs en scène organisent alors des représentations en cachette, dans des appartements, mais c’est extrêmement risqué. S’ils sont découverts, on leur interdira d’exercer leur métier, voire pire », assure Sepideh Farsi.   

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Malgré la crainte, ne pas décourager

Alors comment être écrivain iranien et ne pas sombrer dans le désespoir ? « Je crois que l’imagination devient la seule terre d’accueil quand la censure et la peur sont omniprésentes. C’est la littérature qui devient le pays où l’on peut vivre ensemble en toute liberté », souffle Nasim Vahabi. Au début du mois de septembre, l’autrice publie en France un ouvrage traduit par elle-même du persan au français, qui s’intitule Je ne suis pas un roman ! . Un titre tout trouvé pour décrire sa propre expérience de romancière, et dépeindre les bâillons de l’industrie culturelle en Iran. « Un de mes romans est “emprisonné” par le ministère de la Culture depuis sept ans, raconte-elle. Le chef des censeurs m’a dit que c’est parce qu’il est noircissant. »

Dans son ouvrage, sa protagoniste principale va chercher son roman refusé de publication au bureau de la censure. Sauf qu’elle se retrouve enfermée dans la salle des manuscrits interdits, avec son propre livre. « Quand mon roman a été confisqué, une partie de moi a aussi été confisquée. Donc, “Je ne suis pas un roman” signale à ceux qui censurent et emprisonnent les livres que penser et écrire sont des actes de résistance. » 

Persuadée que son livre sera un jour publié en Iran, Nasim apporte sa force à ses confrères écrivains. « Cette liste d’auteurs enfermés ou tués est pour moi comme un début de campagne pour lutter contre la censure et pour réclamer justice pour ces personnes. Quand je vois cette liste, je me dis : ça aurait pu être moi », confie-t-elle.  

« La peur a changé de camp »

L’art demeure donc une arme, et « c’est d’ailleurs pour ça que les autorités s’en prennent autant au cinéma et qu’ils sont aussi attentifs sur le contenu des films. C’est parce que le cinéma et l’image en général ont du pouvoir, et ils en sont conscients. Mais ils ne peuvent pas tout empêcher », reprend Sepideh Farsi. Pour elle, ce qui les dérange, c’est la libre expression et la critique. Et le régime semble prêt à tout pour museler le moindre reproche.

Sauf qu’avec ce mouvement de solidarité qui ne faiblit pas, « la peur a changé de camp », atteste Nasim Vahabi. « Avant, la peur était toujours avec nous. Mais avec la mort tragique de cette jeune femme, Mahsa Amini, les murs de la crainte sont en train de s’effondrer. » C’est pour cela qu’à leur manière, chaque artiste, musicien, réalisateur, romancier ou activiste, en Iran et parmi la diaspora, tentent d’apporter sa pierre à l’édifice. « On fait tout ce qu’on peut, de l’intérieur et de l’extérieur, pour que ce combat aboutisse », garantit Sepideh Farsi.  

D’après la réalisatrice, « pour que ces règles et que la censure disparaissent une bonne fois pour toute, il faut que le régime disparaisse. On ne peut pas réformer le régime actuel, il faut un changement total de paradigme. » Et ainsi, peut-être qu’un jour « la littérature et l’art n’auront plus à subir la censure en Iran », espère l’écrivaine Nasim Vahabi, qui n’oublie pas ses confrères, les écrivains en prison.





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