Centrale de Zaporijjia: Moscou «attend des actes»
Selon l’agence russe Interfax, le directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), Rafael Grossi, assiste ce jeudi à une réunion du Conseil de sécurité des Nations unies. Il y demandera la création d’une zone de sécurité autour de la centrale nucléaire de Zaporijjia. C’est loin d’être la priorité pour la Russie qui s’impatiente et le fait savoir. Interview avec Renat Ivanovitch Karcha, conseiller du directeur de Rosenergoatom et responsable des projets de développements locaux.
de notre envoyée spéciale à Energodar,
RFI : Que pouvez-vous nous dire de la manière dont l’usine fonctionne aujourd’hui ?
Au sens classique du terme, la centrale ne remplit pas sa fonction principale, car la fonction principale d’une centrale nucléaire est la production d’énergie électrique et thermique.
Un réacteur nucléaire nécessite une alimentation électrique constante et stable. Et lorsqu’il génère de l’électricité, elle doit aller à des consommateurs externes. Or, quand l’alimentation électrique est interrompue, la sortie génère toujours de l’électricité. Il existe alors un risque de surchauffe du réacteur nucléaire et, par conséquent, une menace pour la sûreté. Autrement dit, malheureusement, aujourd’hui, l’Ukraine, en infligeant méthodiquement des frappes d’artillerie sur les lignes électriques, a fini par forcer à arrêter tous les réacteurs. Ces réacteurs sont aujourd’hui à l’état dit « froid ». Donc, il n’y a pas de production d’électricité aujourd’hui, pas le moins du monde. Zéro.
De plus, maintenant, se présente un autre problème très sérieux : celui de l’approvisionnement de la ville en chaleur thermique. L’hiver arrive. Normalement, il ne devrait pas y avoir de problème, mais, malheureusement, nous sommes aujourd’hui dans une position très difficile en termes de solutions techniques.
On devrait pouvoir allumer les réacteurs, et ils généreraient de la chaleur qui alimenterait la ville. Mais nous ne pouvons pas encore nous le permettre. C’est une option qui reste à l’ordre du jour, mais nous ne pouvons pas nous permettre de la considérer comme la principale, parce que la menace est toujours là. Et on ne peut pas comme ça éteindre et allumer des réacteurs, c’est très mauvais ; cela constitue en soi une menace pour la sûreté nucléaire.
Un réacteur nucléaire n’est pas un jouet sur lequel on clique. C’est un processus très complexe. Très strictement réglementé, avec des étapes techniques obligatoires. chacune de ces étapes nécessite certaines choses et surtout de l’électricité.
De plus, l’hiver qui arrive -sans électricité-, ce n’est pas simplement effrayant pour la ville et pour les gens. C’est aussi très inquiétant pour certaines unités de la centrale. Pourquoi ? Parce qu’un certain nombre d’entre elles fonctionnent avec de la vapeur, qui n’est fournie qu’avec de l’eau chaude, et qui ne peut pas être renouvelée. On ne peut rien faire non plus, toujours pour les mêmes raisons. Plusieurs fois on m’a parlé de Tchernobyl, mais c’est une autre histoire, un autre type d’accident. Et le cas de la centrale nucléaire de Zaporijjia est unique. Je veux dire par là que les règlementations relatives à l’exploitation d’une centrale nucléaire ne prévoient même pas la possibilité de frappes d’artillerie.
Nous vivons un moment très, très dangereux. Ici, une sorte de Tchernobyl peut arriver quand, un beau jour, nous n’aurons plus la possibilité ou pas le temps de refroidir le réacteur et qu’une surchauffe se produira, puis une surchauffe se produira. Et là, il y aura un gros problème.
Vous évoquez vous-même la comparaison avec Tchernobyl. Sommes-nous à ce niveau de risque aujourd’hui ?
Aujourd’hui, tout le monde sur la planète parle du besoin de sécurité nucléaire. La Russie, surtout depuis le référendum, porte ici l’entière responsabilité de la sûreté. L’Ukraine, elle, si elle pensait réellement à cette sécurité, ne tirerait pas sur la centrale de manière aussi méthodique. Il est tout à fait évident pour moi que le site est aujourd’hui est un moyen de chantage pour elle. L’Ukraine est obsédée par un seul objectif : récupérer ce territoire.
Je l’ai dit des centaines de fois. Aucune discussion sur les soi-disant zones de sécurité ou des zones démilitarisées, aucune d’entre elle n’a absolument aucun sens tant qu’un document obligeant l’Ukraine à cesser de bombarder ces territoires n’est pas adopté.
De plus, il devrait y avoir des observateurs. Lorsque la commission de l’AIEA est venue, il n’y avait pas un seul expert en balistique militaire avec elle. Je voudrais quand même préciser qu’aujourd’hui, il y a quatre inspecteurs de l’AIEA à la station ; ils surveillent tous les processus liés à la garantie de la sûreté nucléaire. Et depuis qu’ils sont là, ils n’ont rien trouvé à redire, aucune plainte.
Vous avez souvent été accusé de vouloir couper l’électricité à l Ukraine. Que répondez vous ?
C’est un point très important, et j’aimerais que l’Ukraine nous entende. Elle nous a accusés de cela, a dit que nous voulions toute l’électricité pour nous. Croyez-moi, nous n’y avons même pas pensé. Nous ne pensons qu’à une seule chose : comment assurer la sécurité du site.
Toutes les autres questions sont des questions commerciales qui finiront par être discutées et réglées. Mais ces gens ne veulent pas discuter ou négocier. En conséquence, nous avons ce que nous avons. Mais je le répète, pour parvenir à un accord, il est nécessaire de cesser le feu.
Comment décririez-vous l’atmosphère lors de votre dernière rencontre avec Rafael Grossi ?
Rafael Grossi est définitivement un très grand professionnel que nous respectons. Pour nous, il ne fait aucun doute qu’il souhaite fondamentalement assurer la sûreté nucléaire. Mais, – et je ne veux offenser personne- aujourd’hui Rafael Grossi pèse très peu. L’AIEA, et de nombreuses autres organisations internationales faisant autorité, doivent le reconnaître : malheureusement aujourd’hui tout est sous le contrôle total des États-Unis, et Rafael Grossi est sous une pression très sévère. Moscou n’est pas intéressé par les mots. Moscou ne croit qu’aux actes, aux gestes qui changent les choses.
Rafael Grossi a déclaré qu’un accord était envisageable « d’ici à la fin de l’année ». Qu’en pensez-vous ?
Si la tentative de résolution de ce problème avec la centrale nucléaire de Zaporijjia se déroule sur le format AIEA – Russie / AIEA – Ukraine, je ne vois aucune perspective. Aucune.
Il faut un accord contraignant pour faire cesser les bombardements, et des observateurs ici pour surveiller le respect de ces accords et la cessation des bombardements d’artillerie. Tout cela avance trop lentement.