Au Sénégal et au Niger, des «arbres de vie»
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Gros plan sur deux plantes présentes au Sahel, très résistantes à la sécheresse et très utiles aux populations humaines : le moringa et le hanza.
On l’appelle moringa (Moringa oleifera), mais les Sénégalais lui ont préféré en wolof un nom beaucoup plus parlant : nebeday, dérivé de l’anglais « never die » – il ne meurt jamais ! – pour signifier la résilience de cet arbre originaire d’Inde. Nebeday est donc, tout naturellement, le nom qu’a choisi le Français Jean Goepp, installé au Sénégal depuis l’adolescence, pour l’association qu’il a co-fondée il y a 11 ans et qui prône « le développement par l’environnement ». « Pour nous, le développement du Sénégal ne peut pas se faire sans l’arbre. Et pour nous, l’arbre, c’est la vie. Le nebeday, le moringa, est un arbre qui ne meurt jamais, et quand on l’a à côté de soi, on ne meurt jamais. »
Le moringa a en effet des qualités exceptionnelles. La plante est adaptée à la sécheresse et aux sols pauvres. « J’ai vu des moringas se développer dans des gravats de ciments – incroyable ! », s’étonne encore Jean Goepp. « Quand il se fait couper ou manger, il repart toujours. Il a une racine pivot (en forme de boule, d’où partent les racines secondaires) qui se développe très vite et qui va très profondément dans le sol. »
Les feuilles du moringa, broyées, sont consommées au Sénégal depuis des générations dans des plats traditionnels. Sa richesse nutritive est l’un de ses atouts. L’association Nébéday distribue ainsi dans des écoles des petits déjeuners à base de moringa et son « complexe de minéraux ». Et il est même, selon Jean Goepp qui en développe ses usages, un alicament, un aliment qui fait aussi médicament. « Tous les acides aminés dont l’Homme a besoin se trouvent dans les feuilles. Entre les feuilles et les fleurs que tu vas manger, et le fait que ça soigne 300 maladies selon la médecine traditionnelle, ça en fait un arbre de vie. »
Armé contre la sécheresse
À 3 000 kilomètres de là, Josef Garvi a les mêmes préoccupations. Ce Nigérien né en Suède a fondé à Zinder, la deuxième ville du Niger, Sahara Sahel Foods, qui fait notamment la promotion d’un autre arbre de vie : le hanza (Boscia senegalensis), endémique au Sahel, de l’Atlantique à la mer Rouge. Ses fruits sont jaunes et amers, pour éloigner les prédateurs. On fait en particulier de la farine avec ses graines. Mais cet arbre, qui peut atteindre 4 à 5 mètres de haut, a mauvaise réputation. « C’est un ancien aliment qui était consommé au Sahel depuis la nuit des temps, mais qui, suite à l’influence de l’arabisation, de la colonisation et enfin de la mondialisation, a été dévalorisé jusqu’à être stigmatisé comme un aliment de famine et de pénurie », explique Josef Garvi. Riche en protéines et en glucides, le hanza est présent dans toute la bande sahélienne.
Boscia senegalensis est d’ailleurs l’une des essences plantées pour bâtir la Grande muraille verte, parce qu’il est particulièrement adapté à la sécheresse du Sahel.
« Dans ses racines, le hanza a la capacité de stocker l’eau. Mais la plante a aussi des capacités incroyables à limiter la perte d’eau. Par ses feuilles cuirassées et par la structure du tronc, elle veille à ce que l’évaporation soit vraiment réduite au minimum. » Le hanza est un arbre du désert, qui a su s’adapter à l’aridification de la région et évoluer pour affronter de très faibles pluviométries.« C’est vraiment une plante très résiliente, qui arrive à donner des récoltes productives dans des conditions aussi arides et aussi austères que 100 millimètres de pluie par an », précise Josef Garvi. « Presque rien ne peut produire de quoi se nourrir dans ces conditions. »
Le soja du Sahel
Le hanza se contente de peu, et peut donner beaucoup. « Ici au Niger, la moyenne de la récolte céréalière tourne autour de 40 à 50 grammes par mètre carré cultivé », poursuit le directeur de Sahara Sahel Foods. « Le hanza, lui, donne 100 grammes de graines séchées par mètre carré. C’est donc une plante qui peut permettre de doubler le rendement de la production alimentaire. Elle est vraiment idéale pour devenir l’aliment de base à grande échelle dans nos contrées, pour devenir pour le Sahel ce que le soja a été pour l’Asie. » Sahara Sahel Foods a ainsi développé toute une série de produits alimentaires à base de hanza : farine, confiture, biscuits…
En tentant d’en finir avec l’imaginaire collectif lié au hanza (l’une des rares ressources des populations lors des famines de 1972 et 1984), Josef Garvi ne prêche pas dans le désert ; le hanza est moins déconsidéré. « Les cultivateurs réservent les plats de hanza pour les jours où ils vont labourer les champs, pour avoir l’énergie pour pouvoir travailler toute la journée. Quand vous expliquez aux populations rurales que cette plante peut avoir des apports nutritifs importants, ça les aide à retrouver la fierté de se réapproprier leur héritage » : renouer avec ses racines et celles des arbres de vie.
Planter des arbres, c’est la vie ?
En principe, oui. Et c’est pour cette raison qu’on plante beaucoup d’arbres pour qu’ils absorbent le CO2 responsable du changement climatique. Mais ça ne marche pas toujours. En Turquie, il y a 3 ans, 11 millions d’arbres ont été plantés le 11 novembre à 11 heures 11. Trois mois plus tard, 90% étaient déjà morts. Une étude réalisée en Asie vient de montrer que la reforestation connaît en moyenne un taux d’échec de 20% la première année. Et au bout de 5 ans, ce sont 4 arbres sur 10 qui n’ont pas survécu. Parce que les sols sont trop dégradés. Quand on plante, parfois ça plante.