45 ans après, les Grands-Mères de la place de Mai toujours à la recherche des enfants disparus
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En Argentine, cela fait 45 ans que l’association des Grands-Mères de la place de Mai se bat pour retrouver les enfants des opposants disparus pendant la dictature militaire. Depuis, 130 enfants d’opposants disparus ont été identifiés grâce à leur action. Les années n’ont pas entamé la détermination des Grands-Mères, mais la plupart sont aujourd’hui âgées. Alors le temps presse pour retrouver les centaines d’enfants volés manquant à l’appel.
« Si tu es né(e) entre 1975 et 1983 et que tu as des doutes sur ton identité, prends contact avec les Grands-Mères de la place de Mai. L’Argentine te recherche » : des campagnes comme celle-ci, les Grands-Mères de la place de Mai en lancent régulièrement, avec le soutien du gouvernement argentin, alors qu’entre 1976 et 1983, la junte au pouvoir a volé 500 bébés à des parents jugés subversifs, des bébés enlevés puis adoptés illégalement par des familles proches du pouvoir.
Buscarita Roa, 85 ans, milite dans l’association depuis 41 ans. Malgré le temps qui passe, elle lutte toujours pour restituer l’identité des bébés volés pendant la dictature. Ils sont aujourd’hui âgés d’une quarantaine d’années : « Je poursuis les recherches, car il ne reste plus autant de Grands-Mères qu’avant. Autrefois, nous étions très nombreuses, maintenant, les Grands-Mères disparaissent avec le temps. Mais moi, je ne laisserai pas le combat prendre fin avant d’avoir retrouvé le dernier enfant d’opposants disparus. Tant que je serai en vie, je continuerai. Et ensuite, les enfants retrouvés prendront le relais. »
1978, en pleine dictature, José Poblete, le fils de Buscarita, est arrêté avec sa femme et leur petite-fille. Il a 23 ans. Depuis, Buscarita Roa n’a plus jamais reçu de nouvelles du couple. Elle ne sait toujours pas ce qui leur est arrivé. Cette Chilienne d’origine se rappelle l’engagement politique de son fils José : « Mon fils aimait être un révolutionnaire. Je crois qu’il avait à peu près 13 ans quand il donnait des cours à notre domicile à des enfants déscolarisés de familles très pauvres. Il avait cette tendance à agir pour les autres. Il nourrissait beaucoup d’idéaux. Il aimait la politique, bien sûr, et cela a été son plus grand tort. C’est ce qui lui a coûté la vie. »
Des petits-enfants retrouvés grâce à des tests ADN
José et sa femme Gertrudis Hlaczik sont toujours portés disparus. Pendant des années, Buscarita Roa a mené une lutte acharnée pour retrouver sa petite-fille, enlevée à l’âge de huit mois. Mais en 1999, la justice retrouve sa trace grâce à une dénonciation confirmée par des tests ADN. Buscarita se souvient encore de la première rencontre avec Claudia, sa petite-fille : « Eh bien, ma réaction a été celle de n’importe quelle mère ou grand-mère qui a recherché pendant tant d’années un enfant enlevé si petit. Cela a été une joie de la retrouver alors qu’elle était devenue une femme. C’est un mélange de sentiments : d’un côté la joie et de l’autre la peine de ne pas avoir pu l’élever après la mort de ses parents. »
Claudia Poblete Hlaczik a été élevée par un couple proche de la junte au pouvoir. Elle pensait être leur enfant biologique. Dans sa famille, on ne parlait pas vraiment du sort des 30 000 disparus. Alors rien ne lui laissait penser qu’elle pouvait être l’un des bébés volés pendant la dictature.
« Parmi les indices qui m’ont mis la puce à l’oreille, il y avait le fait que le couple qui m’a élevée était très âgé et cela générait chez moi un certain mal-être. Ils étaient plus vieux que les parents de mes amis. Tout le monde s’en rendait compte et moi, j’avais du mal à l’expliquer. Mais au-delà de ça, jamais, je n’avais pensé que je pouvais être la fille de disparus. Je ne savais même pas que c’était possible. Je ne l’ai su que bien plus tard. »
Prendre la relève des Grands-Mères
Aujourd’hui, Claudia n’a plus aucun contact avec ceux que la société argentine a choisi de désigner comme les « apropiadres », ces couples qui se sont illégalement approprié des enfants. Elle entend désormais prendre la relève Grands-Mères : « Je suis membre de l’organisation des Grands-Mères de la place de Mai depuis cette année. Je tiens à transmettre l’importance de récupérer sa véritable identité. Les années passent, et au-delà du fait que les Grands-Mères prennent de l’âge, j’ai compris à travers mon expérience à quel point il est important de connaître la vérité. Le travail des Grands-Mères m’inspire, et il inspire aussi les autres enfants de disparus. J’aimerais ajouter ma pierre à l’édifice pour que nous puissions tous les retrouver. »
Les ADN des proches de disparus sont conservés dans une banque de données. Ainsi, même si une grand-mère décède, des tests pourront toujours être menés pour rendre aux bébés volés, devenus adultes, leur véritable identité.
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